La Presse, jeudi le 6 mars 2014, p.A21. Aussi disponible en ligne sur La Presse+ et sur La Presse.ca.
Ça y est, nous y sommes. La campagne électorale est
officiellement lancée. Comme à chaque élection, les apôtres de la démocratie
investiront les médias pour nous chanter les vertus de l’exercice démocratique.
Propagande et inepties ?
On vous rappellera d’abord que le pouvoir vous appartient,
que c’est le peuple qui gouverne. On négligera cependant de vous préciser qui
est ce peuple au pouvoir.
De qui parle-t-on au juste : de la majorité des
votants, de la majorité des personnes inscrites sur la liste électorale, de la
majorité de la population ? Aux élections de 2012, ce sont 31,95 %
des votants qui ont élu le gouvernement, soit 23,5 % des électeurs
inscrits et moins de 17,4 % de la population du Québec.
Dans le contexte actuel, si c’est le peuple qui gouverne, on
peut donc estimer que chaque citoyen du Québec a moins d’une chance sur cinq
d’avoir quelque chose à dire sur la future gouvernance du Québec.
Chaque vote compte
On insistera également pour que vous exerciez votre droit de
vote : ce dernier pourrait soi-disant faire la différence. La
réalité, c’est que vous avez plus de chances de remporter la loterie 6/49 que
d’influencer le résultat de l’élection.
Aux dernières élections, il y avait près de 6 millions de
personnes inscrites sur la liste électorale. Ainsi, votre vote ne représentait
que 0,00000016 % de l’électorat.
Imaginez maintenant qu’on veuille calculer la probabilité
que votre vote décide du vainqueur de la prochaine élection, et ce, en tenant
compte du fait que vous votez dans plusieurs circonscriptions électorales et
que vous devez choisir entre plusieurs partis politiques. Comme l’ont montré
des économistes, cette probabilité est pratiquement de zéro.
Le peuple ne se trompe pas
Évidemment, on vous dira que tout ça n’a pas d’importance
puisque la démocratie est garante de paix, de justice sociale et un gage de
prospérité collective. Chaque élection permettrait d’apporter une solution à
tous nos maux sociaux : l’élection salvatrice quoi !
C’est dans cette illusion que les partis politiques puisent
leur légitimité de se lancer en campagne électorale en promettant le bonheur
des uns aux dépens des autres. Chacun aspire à remporter l’élection en faisant
miroiter des avantages particuliers à un groupe d’électeurs. Des promesses dont
les coûts seront inévitablement assumés par l’ensemble de la collectivité.
Comme si l’élection permettait aux politiciens de dépenser
sans compter, de réglementer votre vie et même de restreindre vos droits et
libertés individuelles si cela peut aider à leur réélection.
Soyons réalistes, les élections nous appauvrissent
collectivement et elles confèrent des allures de légitimité et de
respectabilité à des gouvernements représentant une frange négligeable de la
population.
Plutôt que de s’épancher sur les vertus de l’exercice
démocratique, ne serait-il pas préférable de baliser le pouvoir politique et de
revoir nos règles de décisions collectives ?
On pourrait, par exemple, empêcher ces gouvernements
majoritaires élus avec une minorité des suffrages exprimés de gérer le Québec
comme s’il s’agissait de leur propriété. Il suffirait d’exiger des majorités
qualifiées (ex. 60 % des voix à l’Assemblée nationale) pour les décisions
d’importance.
***
D’ici là, l’élection d’avril ne risque pas d’être très
différente des précédentes. Chacun des partis en lice poursuivra la victoire
pour pourvoir au bien-être de son peuple : les moins de 20 % de
la population qui auront voté pour lui.