La Presse, mardi le 29 janvier 2013, Débats, p.A13 (disponible sur La Presse.ca)
Nos universités sont malades. Les grands
acteurs du monde universitaire divergent sur les causes, mais s’entendent sur
le remède : l’État doit payer davantage.
Imaginez un instant si l’industrie de la
construction était gérée comme nos universités… Nous aurions alors une
industrie financée par l’État où les consommateurs pourraient acheter une
maison pour une fraction de son coût de construction!
Que se passerait-il? La demande pour des
résidences exploserait et on devrait confier à une bureaucratie la tâche d’édicter
des règles d’attribution pour discriminer entre les
acheteurs. Conséquemment, nos constructeurs d’habitation ne se sentiraient plus
obligés de répondre aux préférences de leurs clients, et ces derniers n’auraient
d’autre choix que de manifester, de faire la grève, voire de recourir à la
violence pour exprimer leurs préférences. À terme, on assisterait à une course
aux rentes permettant aux principaux acteurs du domaine de piller le trésor
public.
Voyez ce qui se passe dans les universités.
En 1970, J. Buchanan (Nobel d’économie 1986)
et N. Devletoglou* s’interrogeaient sur les universités qui sont financées par l’État
et où les étudiants ne paient qu’une fraction du coût de leur formation. En les
comparant à une entreprise privée, ils leur attribuaient trois caractéristiques :
1) Les propriétaires n’ont aucun pouvoir : ceux qui paient, c’est-à-dire les
contribuables, n’exercent aucun contrôle sur la gestion de ces universités; 2)
Les producteurs n’ont rien à vendre : les professeurs de ces universités
n’ont pas besoin de performer pour vendre leurs services; 3) Les consommateurs
n’ont d’autres choix que de consommer ce qu’on leur offre : les étudiants,
qui achètent les services de ces universités à un prix dérisoire, sont incapables
d’influencer les services qu’on leur offre.
Si cela est vrai aux États-Unis, imaginez
au Québec… où toutes les universités sont lourdement subventionnées par l’État.
Aux yeux de l’économiste, nos institutions
universitaires s’apparentent à des organismes à but non lucratif ou des ONG
subventionnées : elles sont à la poursuite de rentes de l’État où les
acteurs s’activent à préserver leur marge discrétionnaire.
Les rencontres préalables au sommet de
février nous en ont d’ailleurs fait une éloquente démonstration.
On y a vu des gestionnaires universitaires jouer
les lobbyistes; nier avoir cherché à ponctionner les fonds publics; se défendre
d’avoir relaxé leurs règles d’admission et d’avoir multiplié les programmes et les
campus pour recruter de nouveaux étudiants afin de gonfler la subvention du
ministère par « tête de pipe ». Des recteurs qui déplorent le
sous-financement universitaire, mais qui se font discrets sur la marge
discrétionnaire qui leur a permis de se verser de généreuses augmentations de
salaire et des indemnités de départ.
Des fédérations de professeurs qui prêchent
les vertus supérieures de l’université publique et qui réclament une charte
pour se protéger des « attraits capiteux du moment ». Comme si nos
universités étaient des tours d’ivoire et que les professeurs avaient besoin de
la protection de l’État pour éviter d’être happés par des incitations de
producteurs; comme s’il fallait cimenter la liberté des professeurs d’enseigner
ce que bon leur semble et les dégager de leur responsabilité d’adapter leur
cours aux besoins des étudiants et du marché du travail.
Il ne faut donc pas se surprendre de voir des
leaders étudiants – qui, vraisemblablement, n’attribuent pas une très grande
valeur à la formation qu’ils reçoivent – investir leurs énergies à se
tailler une carrière sur le marché politique en appelant à une révolution dont
l’aboutissement serait de reconduire, voire de sacraliser le système qu’ils
dénoncent.
Mais où va notre ministre avec son sommet?
Tant qu’il persistera à écarter l’option d’une hausse substantielle des droits
de scolarité, son sommet restera une table de revendications où les grands acteurs
exigeront toujours plus d’argent public pour satisfaire leurs besoins
spécifiques. Ce n’est sûrement pas ce que les contribuables – les propriétaires
de nos universités – attendent de cet exercice.
Ce n’est que lorsqu’on obligera nos
universités à tirer une large part de leurs revenus des droits de scolarité qu’elles
seront forcées de faire le ménage dans leurs programmes de formation et de se
concentrer sur ceux qui ont une valeur ajoutée pour les étudiants. On stimulera
ainsi la concurrence entre nos universités.
Quand une partie importante de leurs revenus
sera tributaire de leur capacité à convaincre les étudiants et le marché de
l’emploi de la qualité de leurs programmes, nos universités n’auront guère
d’autre choix que de viser l’excellence.
* Buchanan, James M., et Nicos E. Devletoglou. Academia in Anarchy: An
Economic Diagnosis, New York and London, Basic Books Inc., 1970, 187p.