Comment séduire un électeur? La recette n’est pas si
complexe qu’il y paraît : il suffirait à un politicien d’alimenter nos croyances
et nos préjugés. Serions-nous des électeurs biaisés?
Les biais de l’électeur
Les électeurs sont généralement peu informés. Comme le vote
d’un électeur individuel n’a pratiquement aucune influence sur le résultat
électoral, il ne dépensera ni temps ni énergie à décortiquer des programmes
électoraux obscurs et complexes. Les électeurs sont donc des ignorants
rationnels.
Le politicien averti le sait. Il courtisera l’électeur en
titillant ses cordes sensibles, parfois en faisant appel à ses valeurs morales
et, trop souvent, en exploitant ses croyances et ses préjugés.
L’économiste américain Bryan Caplan[1]
a identifié quatre familles de croyances ou des biais qui sont généralement
partagés par les votants sur les questions économiques. Ce sont des préjugés sur
lesquels nos politiciens jouent abondamment dans la présente campagne.
Un biais contre le marché :
les électeurs sous-estiment les avantages économiques du mécanisme de marché
Ce préjugé est très fort au Québec. Un récent sondage
effectué par CROP, pour le compte de Cogeco, nous révélait que la moitié des
Québécois croient que les entreprises privées ne profitent pas à la société.
Il est vrai que nos grands partis politiques ne s’opposent
pas formellement à l’économie de marché. Par contre, ils promettent tous d’encadrer
et de superviser son développement, c’est-à-dire de réglementer encore davantage
une économie déjà surréglementée. La chasse au « capitalisme nuisible »
est toujours prolifique en période électorale.
Un biais contre les
étrangers : les électeurs sous-estiment les avantages des interactions
avec les étrangers.
Notre interminable débat sur la Charte des valeurs québécoises
en a fait une éloquente démonstration : l’étranger est menaçant. Il en va
de même de tous ces travailleurs, entreprises et produits étrangers dont on
imagine qu’ils constituent une menace pour notre identité, notre langue, notre
sécurité, nos emplois. On gagnerait même des élections à se protéger des étrangers.
C’est du moins ce que prédisent de récents sondages.
Le biais de création
d’emploi : les électeurs mesurent la valeur d’un projet économique en
termes de création d’emploi plutôt qu’en termes de rentabilité et de création
de richesse.
Au Québec, le progrès technologique et les innovations sont souvent
perçus comme destructeur d’emplois. Même si en principe nos gouvernements ne
peuvent créer d’emplois sans détruire l’équivalent ailleurs dans l’économie, nos
grands partis ont tous l’ambition d’investir des milliards de fonds publics
pour mettre de l’avant le plan du siècle : celui qui créera des centaines
de milliers d’emplois. La plupart du temps, cependant, on freinera les projets
novateurs et on utilisera ces fonds pour subventionner des canards boiteux qui
permettent de sauvegarder des emplois visibles… mais peu productifs.
Le biais pessimiste :
quant tout va mal.
Enfin, nous aurions tendance à être pessimistes, c'est-à-dire
à juger avec sévérité nos problèmes économiques. Tout irait mal au Québec et nous
serions en crise économique permanente. C’est pourquoi chaque parti de
l’opposition nous fera la promesse solennelle de nous sortir du marasme économique dans lequel nous a embourbé
le précédent gouvernement.
…
Bref, les électeurs québécois ne sont pas si distincts des autres
électeurs dans le monde. Comme les Européens et comme une bonne partie des
Américains, ils maudissent l’économie de marché, pestent contre les étrangers,
ne pensent qu’à sauvegarder leur emploi et sont pessimistes quant à l’avenir
économique.
En fait, il n’y a qu’une chose qu’ils surestiment vraiment :
la capacité des politiciens d’apporter une solution à leurs croyances et
préjugés. On a finalement les politiciens qu’on mérite!
[1] Caplan, B.
2007. The Myth of the Rational
Voter: Why Democracies Choose Bad Policies, Princeton: Princeton University
Press.