mercredi 15 juin 2011

Bonjour la police!


Comment appelle-t-on un État où les policiers dictent aux professeurs d'université quoi
penser et quoi écrire? Ce sera difficile à croire, mais certains policiers jouent les gros bras auprès de mon université pour me faire taire.
Voilà, je suis choqué. Non pas parce que des policiers sont en désaccord avec moi, ni parce qu’ils m’invectivent par courriel. Oh non! Je suis indigné par leurs menaces de représailles à peine voilées. Hé les amis! L’ENAP, c’est une université!
Sous prétexte que son service de police a des contrats avec mon institution, l’un d’entre eux m’a écrit : « Il est clair que nous allons discuter de vos propos dans notre organisation et avec l'ENAP... » « Je vais personnellement, a-t-il ajouté, intervenir auprès des autorités concernées pour m'assurer que vous ne soyez pas impliqué [dans nos contrats avec l’ENAP]. » Désolé, cher «client», mais ça sent l’intimidation policière.
En d’autres termes, ces messieurs qui suivent des cours à l’ENAP veulent montrer à l’institution et à ses professeurs quoi penser. Je devrais, semble-t-il, les « contacter » avant  d’exprimer mon opinion sur des évènements d’actualité impliquant des policiers.
Mon crime? Avoir écrit  un commentaire de 250 mots dans La Presse Débats sur la tuerie de Montréal. J’y soulignais que les forces policières ont le monopole des armes à feu; qu’une des raisons des nombreux débordements policiers tient surtout de leur impunité et qu’il ne faut pas trop attendre d’une enquête menée par la confrérie. La famille, c’est la famille, ai-je même ajouté. Ô sacrilège!
Pour quiconque suit l’actualité, il n’y a rien de très original dans ce commentaire : plusieurs observateurs ont tenu des propos similaires sur d’autres tribunes. Mais leurs institutions n’ont pas toutes des policiers étudiants et des contrats avec un service de police… D’où ma gloire soudaine, j’imagine, auprès de la famille policière.
Il semble qu’aux yeux de certains policiers, un professeur d’université qui met en doute une intervention policière constitue une menace à leur pouvoir. J’invite les étudiants policiers à ne pas interrompre leurs études universitaires pour autant : ils ont beaucoup à apprendre, notamment à propos de la liberté universitaire… et de la liberté tout court.
Un policier étudiant m’a annoncé en grande pompe son intention d’éviter ma salle de classe. Puisqu’il sera absent, je lui cite l’Encyclopédie canadienne : « La liberté universitaire se définit couramment comme étant la liberté pour les professeurs d'enseigner, de publier leurs travaux de recherche, de critiquer et d'aider à définir les politiques de leurs institutions, et d'aborder des questions d'ordre public en tant que citoyens sans craindre de sanctions de la part de leur institution» (Les caractères gras sont de moi.)
Je sais, chers policiers, que mes propos vous ont froissés, et pour cause. Mais comme le disait André Foissard : Il y a tout lieu de s’inquiéter quand la police est « sur les dents » : la position ne permet pas d’attraper grand chose. Ça vous tente de desserrer les dents un peu?