La Presse, mardi le 27 novembre 2012. P.
A21. Aussi disponible sur cyberpresse.
Pierre Simard et Jean-Luc Migué
Après que le nouveau gouvernement du Québec
a annoncé son intention d'augmenter l'impôt des nantis et la part imposable des
gains en capital et des dividendes, certains Québécois ont songé à quitter le
Québec. Évidemment, partir n'est pas simple. Outre la barrière linguistique et
les douloureuses séparations familiales, encore faut-il trouver une terre
d'accueil, une tâche ardue dans un monde où la plupart des pays multiplient les
barrières à l'immigration.
Or voilà, le Québécois est aussi un
Canadien. Et quelle que soit l'expression par laquelle il aime se définir -
Québécois ou Canadien - il a la liberté de quitter le Québec pour une autre
province canadienne sans avoir à obtenir un visa, un droit d'asile, une carte
verte ou un permis de séjour. Ce droit individuel est garanti par la Charte des
droits et libertés qui est enchâssée dans la Constitution canadienne.
Ce droit qui nous est accordé de quitter
notre province pour aller s'installer dans une autre peut sembler anodin et
sans réelle conséquence sur notre qualité de vie. Au contraire! La mobilité
interprovinciale constitue l'une des grandes vertus d'un véritable fédéralisme.
Ce droit permet d'instaurer une concurrence entre les gouvernements
provinciaux; une saine concurrence qui s'avère bénéfique pour tous les
Canadiens, y compris les Québécois.
Le Canada, rappelons-le, est une fédération
de provinces qui possèdent leurs propres champs de compétences et leurs propres
pouvoirs, dont celui de lever des impôts sur leur territoire. Cette
décentralisation des pouvoirs confie donc à chaque province la responsabilité
de déterminer un panier de services publics qu'elle financera directement
auprès de ses résidants. Or, en ayant la liberté de se déplacer sur le
territoire, chaque citoyen canadien a l'opportunité de choisir son lieu de
résidence en comparant le panier de biens publics offert par chacune des
provinces canadiennes ainsi que les prélèvements fiscaux qui y sont associés.
Il ne faut pas se surprendre qu'en
annonçant son intention de hausser les impôts des particuliers, le gouvernement
du Québec ait soudainement ranimé l'intérêt de certains de ses résidants pour
les autres provinces canadiennes. Aucun gouvernement ne se réjouira de voir
partir ses citoyens les plus mobiles: il s'agit souvent des ressources les plus
qualifiées et des plus gros contribuables. Dans une province ou près de 40% des
citoyens ne paient pas d'impôt sur le revenu, il y a de quoi inquiéter un
ministre des Finances du Québec de voir migrer, à chaque départ annoncé, une
fraction de sa cagnotte budgétaire.
En plus d'être un moyen d'échapper aux
impôts abusifs des gouvernements locaux, la mobilité citoyenne offre également
à chaque Canadien l'opportunité de s'exiler pour profiter de la croissance
économique des provinces prospères. Bon an mal an, ce sont environ 300 000
Canadiens qui migrent à travers le Canada. C'est ainsi qu'en moins de 40 ans, les
provinces de l'Alberta et de la Colombie-Britannique se sont enrichies chacune
de plus d'un demi-million de nouveaux habitants en provenance des autres
régions du pays. Pendant ce temps, malgré la barrière linguistique, le Québec a
perdu plus de 528 000 résidents au profit des autres provinces. La
population québécoise, qui représentait 27,9% de la population canadienne en
1971, avait décliné à 23,1% en 2011.
Dans cette perspective, le Québécois
devrait se rappeler que, s'il suffit à un gouvernement de récolter moins du
tiers des votes exprimés à une élection pour se sentir légitimé à ériger des
barrières linguistiques à sa mobilité, la constitution canadienne lui permet
quand même de voter avec ses jambes et de quitter la «Belle province» pour une
autre province canadienne. Une liberté offrant à une majorité de Québécois la
possibilité d'échapper à la dictature de sa minorité.
En conséquence, les Québécois, comme les
autres Canadiens, devraient se féliciter de vivre dans un fédéralisme de
concurrence et combattre vigoureusement toutes les menaces à leur mobilité
citoyenne. Bref, la mobilité libératrice d'un citoyen, c'est aussi ça, le
fédéralisme!