La Presse, Débats, vendredi le 4 septembre 2013, p. A18. Disponible sur La Presse.ca et sur La Presse+.
Dans un sondage commandé par La Presse, une majorité de
Québécois admettait faire de la discrimination envers ceux qui sont différents
d’eux. C’est dans la nature humaine direz-vous. Certes, mais cette
discrimination a un coût.
Le coût des préjugés
Vous êtes furieux : votre restaurant préféré vient
d’embaucher une serveuse portant le voile. C’est décidé, vous n’y remettrez plus
les pieds… quitte à payer plus cher pour manger québécois. C’est votre droit!
Sur le marché libre, chacun de nous peut assouvir ses préjugés.
Les entrepreneurs sont libres d’offrir et les consommateurs sont libres d’acheter.
Si le produit offert ne vous satisfait pas, vous pouvez voter par les jambes. Tant
que vous serez disposé à payer, il y aura toujours un entrepreneur pour
satisfaire vos préférences.
Être libre, c’est assumer le coût de ses préjugés. Par
exemple, la liberté de ne pas aimer les pratiques culturelles ou religieuses
des immigrants n’est pas gratuite. Les individus et les entrepreneurs qui
abusent de la discrimination envers les nouveaux arrivants prennent le risque
de se priver d’amitiés, d’une clientèle supplémentaire ou d'une main-d'œuvre
qualifiée. C’est pourquoi sur un marché libre, même si chacun de nous a la
liberté de discriminer à sa guise, les abus discriminatoires sont peu
fréquents.
Parce que discriminer est coûteux, tant pour les individus que
pour les entreprises, la plupart des demandes d’accommodements se résolvent d’elles-mêmes.
Parce que discriminer n’est pas gratuit, la majorité s’ajustera aux différences
des autres plutôt que d’assumer le coût de ses préjugés.
Subventionner les préjugés
Malheureusement, les choses se gâtent quand, pour des
raisons électoralistes, les politiciens cherchent à imposer des règles et des
interdits sociaux qui permettent à certains groupes d’individus de transférer
le coût de leurs préjugés aux autres.
Brader les libertés religieuses des immigrants pour subventionner
les préjugés d’un électorat n’est sûrement pas socialement désirable. Comme on
a pu le voir à la suite du dépôt de sa charte des valeurs, en privilégiant une
frange de l’électorat au détriment d’une autre, le gouvernement du Québec n’a
réussi qu’à attiser les rivalités entre citoyens qui, jusqu’ici, s’arrangeaient
très bien entre eux.
Il est d’ailleurs paradoxal qu’un État soi-disant
progressiste s’arroge le droit de dicter sa morale identitaire à ceux-là mêmes
qui sont chargés de livrer des services qui ont été étatisés sous le prétexte
d’une égalité pour tous.
Contrairement au marché concurrentiel, qui discrimine pour
satisfaire les préférences de tous un chacun, les monopoles publics ne peuvent
discriminer sans faire des gagnants et des perdants. Or, si l’État tenait vraiment
à s’ajuster aux préférences de tous les citoyens du Québec, il n’aurait qu’à
privatiser les services qu’il a jadis monopolisés au nom du bien public. Une
multitude d’entrepreneurs en concurrence sauront accommoder le plus grand
nombre, et ce, sans que les minorités aient à supporter le coût des préjugés de
la majorité.
Le rôle de notre gouvernement n'est pas d'attiser les
rivalités ou d'instaurer une course aux privilèges. Aussi, la seule voie
acceptable qui lui reste pour minimiser les tensions sociales engendrées par le
dépôt de sa charte, c’est de renoncer à nationaliser les sentiments et à subventionner
les préjugés. Sinon, on risque le conflit social permanent!