La Presse, vendredi le 22 février 2013, p. A19 (aussi disponible sur La Presse.ca)
Il y a quelques mois, notre ministre de
l’Enseignement supérieur invitait la population à garder la foi dans son sommet.
Il a même avancé qu’un chapitre de l’histoire du Québec y serait écrit. À
quelques jours de l’événement, son grand rêve s’estompe. La grand-messe devant
éclairer le peuple risque même de tourner au fiasco. Souhaitons-le d’ailleurs!
Les problèmes de notre ministre ont
commencé le jour où il a annoncé des coupes budgétaires. Les partenaires de la
grande corporation de l’enseignement supérieur sont alors devenus des
concurrents. Des rivaux qui ont compris que, s’il y a des gains financiers à tirer
de ce sommet, tous ne pourront en profiter.
Le ministre aurait dû le savoir : les grands
sommets ne font consensus que lorsqu’il y a quelqu’un à dépouiller. Les
coalitions d’intérêts conspirent toujours contre quelqu’un et, par un curieux
hasard, les victimes sont rarement présentes à la table de discussion.
Ce sont habituellement les contribuables et
les consommateurs qui font les frais de ces sommets. Mais il faut se rendre à
l’évidence : il n’y a plus grand-chose à dérober à celui qui vient d’être pillé
par le dernier budget.
Aussi, à défaut d’une entente de dernière
minute pour déshabiller quelqu’un d’absent — les grandes entreprises, par
exemple — le grand consensus espéré n’aura pas lieu.
Au Québec, le mythe des sommets comme idéal
de démocratie, d'égalité et de solidarité est tenace. Ça fait plus de trente
ans que nos gouvernements mettent sur pied des sommets socioéconomiques (ou des
états généraux) pour décider avec les grands groupes d’intérêt comment se
redistribuer le bien public.
Cette fois encore, on a voulu créer
l'illusion qu'un consensus entre politiciens, recteurs, leaders étudiants,
syndicats de professeurs et fonctionnaires permettrait de satisfaire les attentes
de tout un chacun et d’insuffler un nouveau dynamisme à nos universités.
Foutaise!
En réalité, ces exercices ne sont que des
assemblées corporatives qui permettent aux membres présents de protéger leurs
acquis. Pis encore, selon Edmund S. Phelps (Nobel d’économie 2006), cette forme
de néocorporatisme explique la contre-performance de plusieurs grandes économies.
En écartant les idées novatrices et en
s’assurant d’adopter des solutions qui ne mettent pas en péril leur propre
existence, les partenaires de ces modes de décision collective offrent une
forte résistance au changement et à l’innovation qui sont le moteur de toute
économie dynamique.
Un échec du sommet sur l’enseignement
supérieur est donc souhaitable. Il servirait de coup de semonce à tous ces
groupes d’intérêt qui utilisent ces rencontres pour grappiller les fonds
publics ou se faire reconnaître des privilèges, comme la reconnaissance d’un
droit de grève pour les étudiants.
L’échec du sommet servirait également
d’électrochoc à nos recteurs. Ceux-ci ne pourraient plus se contenter de « chauffer
le poêle » des officines gouvernementales. Ils devraient, à l’instar de
milliers d’entrepreneurs, retrousser leurs manches et réinventer l’université
québécoise dans un contexte où les deniers publics ne tombent plus du ciel et
où s’annonce une révolution numérique qui transformera les façons de faire.
Comme le disait Margaret Thatcher : « Tout
corporatisme (...) encourage la rigidité, décourage la responsabilité
individuelle et risque d'aggraver les erreurs en les dissimulant. »
Aussi, il est temps que le Québec passe à autre chose et qu'il laisse les
sommets… aux alpinistes.