La Presse, Débats, samedi le 5 avril 2012, p. A33. (Disponible sur La Presse.ca)
Le Québécois n’existe plus individuellement.
Dans un élan de solidarité pour la grève étudiante, les leaders de groupes
d’intérêt ne cessent de proclamer que les droits collectifs doivent primer
sur les droits individuels. On aura compris que lesdits droits collectifs sont
la propriété privée des groupes de pression, et que, dorénavant, ils entendent
les faire respecter coûte que coûte. Même au prix de la violence!
Le Québec vit présentement sous la menace
d’une dictature des groupes de pression. La tyrannie des propriétaires de droits
collectifs. La Constitution, la Charte des droits et libertés, l’État qui
protège vos droits individuels et assure votre sécurité ne sont à leurs yeux
que du folklore. Si par hasard vous n’êtes qu’un vulgaire citoyen ou contribuable,
si par malheur vous ne faites pas partie d’un grand syndicat, d’une puissante
corporation professionnelle ou d’une fédération étudiante, la menace
d’exclusion sociale est imminente.
Évidemment, tout ça n’a pas débuté avec la
grève étudiante. Le processus de négation de l’individu s’est amorcé et
intensifié tout au long de la Révolution tranquille, notamment lorsque nos gouvernements
ont décidé de partager leur responsabilité de gestionnaire des affaires
publiques avec les groupes d’intérêt. Comment? En les invitant régulièrement à
des sommets socioéconomiques ou à des états généraux pour décider, entre élites,
de l’avenir de la société. Rien à voir avec le prolétariat!
On voulait créer l’illusion qu’un consensus
entre chefs syndicaux, leaders étudiants, patrons et fonctionnaires permettrait
d'intégrer les préférences de chaque citoyen. On en faisait un modèle idyllique
– encore mieux, une spécificité québécoise. Évidemment, c’était pour occulter
que ce soi-disant modèle de démocratie, d’égalité et de solidarité n’était
qu’une vulgaire forme de corporatisme servant des intérêts particuliers, et ce,
au détriment des citoyens et des contribuables québécois.
C’est ainsi qu’après s’être approprié pendant
50 ans la richesse des citoyens, la corporation des propriétaires de droits
collectifs est à bout de souffle. La mine s’est tarie! Les coûts sans cesse croissants
des privilèges et l’endettement collectif font en sorte que l’État,
traditionnellement chargé de redistribuer le butin volé aux citoyens, éprouve
de plus en plus de difficulté à livrer la marchandise.
Il fallait donc profiter de la faiblesse du
gouvernement pour reprendre les choses en main. L’État redistributeur de privilèges étant devenu un intermédiaire
encombrant, on aspire à continuer l’opération sans lui.
Profitant de l’ignorance rationnelle des
citoyens, nos grands groupes d’intérêt se réclament dorénavant d’une nouvelle
démocratie : une démocratie où les intérêts particuliers revêtent une
allure d'intérêt général. Une démocratie d’intérêts corporatifs qui appelle à
la rupture sociale et qui cherche à installer le chaos en recourant à la
violence et en défiant ouvertement la loi et l’ordre. Une démocratie où une coalition
de privilégiés de l’État défend une idéologie consistant à ne rien céder des
privilèges acquis et à se moquer de tout le reste, notamment des conséquences de
leurs démarches.
Ces nouveaux démocrates de l’intimidation sont
maintenant comparables au « bandit nomade » : celui qui détruit
tout sur son passage, pille la récolte, et terrorise les citoyens. De plus, ce
bandit nomade légitime la violence de peur que ses victimes ne trouvent un
reste de droit individuel pour résister. Les résistants? Ces « p’tits
cons » qui s’imaginent qu’une injonction de la cour peut freiner une
coalition de subventionnés.