Article épinglé

vendredi 4 octobre 2013

Charte des valeurs: subventionner les préjugés


La Presse, Débats, vendredi le 4 septembre 2013, p. A18. Disponible sur La Presse.ca et sur La Presse+.

Dans un sondage commandé par La Presse, une majorité de Québécois admettait faire de la discrimination envers ceux qui sont différents d’eux. C’est dans la nature humaine direz-vous. Certes, mais cette discrimination a un coût.
Le coût des préjugés
Vous êtes furieux : votre restaurant préféré vient d’embaucher une serveuse portant le voile. C’est décidé, vous n’y remettrez plus les pieds… quitte à payer plus cher pour manger québécois. C’est votre droit!
Sur le marché libre, chacun de nous peut assouvir ses préjugés. Les entrepreneurs sont libres d’offrir et les consommateurs sont libres d’acheter. Si le produit offert ne vous satisfait pas, vous pouvez voter par les jambes. Tant que vous serez disposé à payer, il y aura toujours un entrepreneur pour satisfaire vos préférences. 
Être libre, c’est assumer le coût de ses préjugés. Par exemple, la liberté de ne pas aimer les pratiques culturelles ou religieuses des immigrants n’est pas gratuite. Les individus et les entrepreneurs qui abusent de la discrimination envers les nouveaux arrivants prennent le risque de se priver d’amitiés, d’une clientèle supplémentaire ou d'une main-d'œuvre qualifiée. C’est pourquoi sur un marché libre, même si chacun de nous a la liberté de discriminer à sa guise, les abus discriminatoires sont peu fréquents.
Parce que discriminer est coûteux, tant pour les individus que pour les entreprises, la plupart des demandes d’accommodements se résolvent d’elles-mêmes. Parce que discriminer n’est pas gratuit, la majorité s’ajustera aux différences des autres plutôt que d’assumer le coût de ses préjugés.
Subventionner les préjugés
Malheureusement, les choses se gâtent quand, pour des raisons électoralistes, les politiciens cherchent à imposer des règles et des interdits sociaux qui permettent à certains groupes d’individus de transférer le coût de leurs préjugés aux autres.
Brader les libertés religieuses des immigrants pour subventionner les préjugés d’un électorat n’est sûrement pas socialement désirable. Comme on a pu le voir à la suite du dépôt de sa charte des valeurs, en privilégiant une frange de l’électorat au détriment d’une autre, le gouvernement du Québec n’a réussi qu’à attiser les rivalités entre citoyens qui, jusqu’ici, s’arrangeaient très bien entre eux.
Il est d’ailleurs paradoxal qu’un État soi-disant progressiste s’arroge le droit de dicter sa morale identitaire à ceux-là mêmes qui sont chargés de livrer des services qui ont été étatisés sous le prétexte d’une égalité pour tous.
Contrairement au marché concurrentiel, qui discrimine pour satisfaire les préférences de tous un chacun, les monopoles publics ne peuvent discriminer sans faire des gagnants et des perdants. Or, si l’État tenait vraiment à s’ajuster aux préférences de tous les citoyens du Québec, il n’aurait qu’à privatiser les services qu’il a jadis monopolisés au nom du bien public. Une multitude d’entrepreneurs en concurrence sauront accommoder le plus grand nombre, et ce, sans que les minorités aient à supporter le coût des préjugés de la majorité.
Le rôle de notre gouvernement n'est pas d'attiser les rivalités ou d'instaurer une course aux privilèges. Aussi, la seule voie acceptable qui lui reste pour minimiser les tensions sociales engendrées par le dépôt de sa charte, c’est de renoncer à nationaliser les sentiments et à subventionner les préjugés. Sinon, on risque le conflit social permanent!

jeudi 26 septembre 2013

Duchesneau devrait-il se rétracter?


La Presse Débats et La Presse+, 26 et 27 septembre 2013.

Était-ce inapproprié de la part du député caquiste Jacques Duchesneau d’établir un lien entre la consommation de cocaïne de l’ex-ministre André Boisclair et la subvention de 2,5 millions $ qu’il a octroyée à son ami Paul Sauvé quatre jours avant les élections de 2003 ? M. Duchesneau devrait-il s’excuser ou se rétracter ?
Calomniez, calomniez..
Derrière sa prétention à la sauvegarde du bien public, on aura compris que Jacques Duchesneau est de cette race de politiciens pour qui tous les coups sont permis. Une journée, il coule son propre rapport d’enquête aux médias. Le lendemain, il se plaint à l’émission Tout le monde en parle que des journalistes cherchent à le discréditer et à l'intimider. Cette fois, il convoque la presse pour éclabousser un adversaire politique. Tout porte à croire que le procès d’intention est l’arme privilégiée du soi-disant « super héros » de la CAQ. Ne vous méprenez pas, je déteste la langue de bois. Je suis de ceux qui croient à la liberté d’expression chez les politiciens. Par contre, la liberté de parole d’un élu n’est pas sans limites. Ses adversaires ont aussi droit à la protection de leur réputation. Dans le cas présent, les affirmations et les insinuations de Duchesneau sont graves et portent atteinte à l’honnêteté d’André Boisclair. À moins qu’il puisse prouver la véracité de ses allégations, il faut s’attendre à ce qu’il retire ses propos. De toute façon, « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »…

lundi 16 septembre 2013

Vendre le droit d'immigrer au Québec

Vincent Geloso et Pierre Simard, Huffington Post, 16 septembre 2013.
 
Alors que le Québec est divisé sur la taille des symboles religieux à afficher, on semble oublier la vraie question : comment favoriser l’intégration harmonieuse des nouveaux arrivants?

Le processus d’intégration
Pour les nombreux économistes qui ont abordé ce sujet, l’intégration des immigrants dépend généralement de l’ampleur des incitations à participer à la vie économique d’une société (au marché du travail en particulier). C’est ainsi que les historiens économiques expliquent l’intégration réussie des canadiens-français aux États-Unis depuis le 19e siècle
Les économies qui, au contraire, protègent les emplois et compliquent l’accès des nouveaux arrivants au marché du travail – tout en offrant un filet social qui décourage le travail – favorisent le confinement socio-économique des minorités. La marginalisation des immigrants en France depuis les années 1970 en est un bon exemple. 
Lorsqu’une telle marginalisation se produit, les valeurs, mentalités et attitudes des minorités marginalisées risquent de se construire en opposition à celles de la société d’accueil. Il en résulte nécessairement des tensions sociales qui fragmentent la société. 
En examinant les données, on constate que le Québec peine à intégrer ses immigrants. Ces derniers présentent des taux de chômage et de pauvreté supérieurs aux autres provinces et un taux d’emploi plus bas qu’ailleurs au Canada. Si on veut favoriser l’intégration, il faut absolument faciliter l’accès au marché du travail. On pourrait par exemple assouplir les lois du travail et alléger le fardeau réglementaire et fiscal des entreprises pour qu’elles puissent investir et créer des emplois.
Bien que ces mesures pourraient contribuer à solutionner le problème de l’immigration, elles ne règlent pas entièrement le problème. Il faut aussi être capable de choisir les immigrants qui désirent le plus s’intégrer à leur société d’accueil.
Vendre le droit d’immigrer
Présentement, le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles crée ses propres grilles de sélection, une approche qui n’est pas nécessairement la plus efficace. En fait, il est possible de pousser les immigrants les plus désireux de s’intégrer à révéler cette volonté en vendant le droit d’immigrer. L’idée vient de Gary S.Becker (prix Nobel d’économie 1992) qui l’a proposé aux Américains et aux Britanniques.  
Supposons qu’on exige 20 000 $ pour le droit d’immigrer sur notre territoire de tous ceux qui satisfont à des conditions minimales (le demandeur n’est pas atteint d’une grave maladie, d’un passé terroriste ou criminel, etc.). On peut présumer que ceux qui seront disposés à assumer cette charge auront les dispositions et la volonté de s’intégrer à notre société.
Cette tarification aurait pour résultat d’attirer des immigrants prêts à maximiser leurs chances de réussite : ils seraient motivés à apprendre notre langue, à partager nos valeurs et à enrichir le Québec avec les leurs.  En somme, cette politique permettrait au Québec d’admettre 10 000 ou 100 000 immigrants – peu importe le nombre, puisqu’il s’agirait tous d’immigrants désireux de s’intégrer et de participer à la vie québécoise.  
Une telle mesure pourrait s’accompagner d’un programme de prêts aux nouveaux arrivants (qu’il serait possible de rembourser par des retenues à la source par exemple). Quant aux immigrants déçus de leur choix, il suffirait de faire en sorte que le permis d’immigration soit « revendable ». Ainsi, l’immigrant déçu pourrait récupérer son investissement et retourner dans son pays d’origine sans s’être appauvri pour toujours. Un tel marché serait similaire à celui proposé afin de limiter les émissions polluantes.

Une mesure sans effets
La fameuse charte des valeurs québécoises ne produira probablement pas d’effets importants et mesurables sur l’intégration des nouveaux arrivants (tout comme le multiculturalisme à la britannique ou le républicanisme à la française). Une plus grande accessibilité au marché du travail et la vente de permis d’immigration seraient bien plus efficaces. Tout le reste n’est que baragouinage politique au profit d’intérêts électoralistes qui ne favorise en rien l’adhésion des immigrants aux soi-disant valeurs québécoises.