Article épinglé

samedi 5 avril 2014

Pourquoi va-t-on voter?

La Presse, samedi le 5 avril 2014, p. A27. Disponible sur La Presse+ et La Presse.ca

Plusieurs électeurs s’abstiendront de voter le 7 avril. Étonnant? Pas vraiment. On devrait plutôt s’étonner qu’il y ait autant d’électeurs qui se rendent aux urnes. Sacrilège!
Ignorance rationnelle
Pour l’école des choix publics, l’absentéisme électoral est un phénomène qui s’explique aisément. Comme le vote d’un électeur n’a pratiquement aucune influence sur le résultat électoral - donc que la probabilité d’en retirer un bénéfice quelconque est faible - plusieurs préféreront s’abstenir.
Aussi, en l’absence d’enjeux électoraux qui les amusent vraiment, plusieurs électeurs auront tendance à demeurer rationnellement apathiques. Ils prêteront peu d’attention à la campagne électorale, ne dépenseront ni temps ni énergie à s’informer des programmes électoraux et… resteront à la maison le jour du vote. Ce sont des ignorants rationnels.
Pourquoi va-t-on voter
Malgré tout, plus de quatre millions d’électeurs se sont rendus aux urnes à l’élection provinciale de 2012. Pourquoi sommes-nous si nombreux à aller voter, en dépit du fait que notre vote n’a pratiquement aucune chance de faire une différence sur le résultat de l’élection?
Plusieurs hypothèses sont avancées. Des électeurs se rendraient aux urnes par mimétisme : pour faire comme les autres afin de ne pas se sentir marginalisés. D'autres voteraient pour des considérations d’ordre moral : pour remplir leur devoir civique.
Mais encore…
Le plaisir de s’exprimer
Dans son ouvrage Comprendre l’économie ou comment les économistes pensent, Pierre Lemieux soutient que l’explication la plus vraisemblable relèverait du simple plaisir de l’expression : la plupart des gens aiment exprimer leurs sentiments, surtout quand ils sont partagés par le groupe dont ils font partie ou par la foule qui les entoure.
Ainsi, certains électeurs feraient comme ces clients de la Cage aux sports qui encouragent le Canadien de Montréal au Centre Bell. Ils savent très bien que P.K. Subban et Carey Price ne peuvent les entendre, et que leurs cris et gesticulations n’auront aucune incidence sur le résultat du match, mais ils trouvent une satisfaction dans le simple plaisir de faire du bruit.
La bonne conscience
D’autres électeurs iront voter pour faire valoir une opinion morale ou pour se donner bonne conscience.
Peu informés et conscients de ne pouvoir influencer significativement l’issue du vote, ils se rendront à l’isoloir pour s’offrir une certaine satisfaction psychologique en adhérant à des mesures empreintes de vertu ou de compassion.
Certains électeurs accepteront même de voter contre leur propre intérêt pour se donner bonne conscience. C’est humain, il est facile de s’attendrir sur les problèmes de tout un chacun lorsqu’on a l’impression que cela n’affectera d’aucune manière ni son revenu, ni son bien-être.
Évidemment, s’exprimer pour le simple plaisir de la chose, ou pour se donner bonne conscience, apporte relativement peu d’utilité à l’électeur. Ce n’est qu’un mini plaisir.
Aussi, tant que le coût de se rendre aux urnes demeurera faible, la participation électorale demeurera élevée. Il suffirait qu’une tempête de neige vienne perturber les déplacements pour que plusieurs électeurs demeurent dans le confort de leur foyer.
Peu importe les conditions météorologiques cependant, le jour de l’élection, le mot d’ordre de chaque parti politique sera de « sortir le vote ». Pas tous les votes : le bon vote.

jeudi 3 avril 2014

Une campagne qui pue


Le Journal de Québec et de Montréal, 3 avril 2014, p.16.

Je l’avoue, je n’en peux plus de cette campagne électorale. Elle m’aura convaincu d’une seule chose : l’haleine des politiciens pue la malhonnêteté intellectuelle.
Traditionnellement, l’art de la politique s’appuyait sur la langue de bois, l’évitement et le double langage. Les politiciens usaient du mensonge avec précaution, par crainte d’y perdre leur crédibilité et de se faire sanctionner par l’électorat
Ce qui a changé? Plus aucun mensonge n’est trop gros. Nos campagnes électorales se déroulent maintenant sur fond d’accusations fallacieuses et de raccourcis intellectuels.
Les salopards
Je pense à Philippe Couillard. Les faits parleraient d’eux-mêmes : il a fréquenté Arthur Porter, travaillé en Arabie saoudite et possédé un compte de bancaire sur l’ile de Jersey. Voter pour le PLQ équivaudrait, sous-tendent ses adversaires, à appuyer un escroc, un pro-islamiste et un partisan des paradis fiscaux. 
Je pense à Pauline Marois. Elle ne serait guère plus attirante : elle a refusé de dévoiler ses actifs familiaux, ourdi un «deal» avec un chef syndical et recruté un candidat dont la société est enregistrée au Delaware. Il y aurait nécessairement anguille sous roche, selon ses adversaires. La preuve? Elle habite dans une somptueuse résidence.
Le politicien inquisiteur ne se limite plus à scruter le passé de ses adversaires pour établir ses conclusions fallacieuses. En outre, il n’hésite pas à attaquer la crédibilité du processus électoral : des étudiants ontariens se seraient inscrits sur la liste électorale pour voler l’élection québécoise. 
Même si le directeur général des élections du Québec (DGE) a réfuté cette allégation de fraude électorale et que de toute façon il serait mathématiquement impossible qu’une poignée de votes change le résultat de l’élection le mensonge a fait œuvre utile. Déjà qu’on se serait fait voler un pays par l’argent et le vote ethnique
Le mensonge triomphe
C’est triste à dire, mais les ignominies politiciennes parviennent à se frayer un chemin dans l’électorat. Désormais, le mensonge et la suspicion triomphent de la réalité des faits. Il suffit à un politicien de répéter sans cesse le même mensonge pour que celui-ci devienne la vérité. 
Si nos politiciens se sentent libres de raconter n’importe quoi, c’est qu‘ils savent que la plupart des électeurs n’investiront ni temps ni argent pour s’informer, encore moins pour vérifier la véracité d’une affirmation grotesque. 
À défaut d’investir dans la recherche de la vérité, l’électeur n’aura d’autre choix que de s’alimenter à la malhonnêteté intellectuelle de nos politiciens; c'est-à-dire choisir ses dirigeants sur la foi de calomnies et de ragots.
Le DGE ne cesse de nous rappeler que « voter c’est le pouvoir de choisir ». Je veux bien! À condition que mon pouvoir ne se limite pas à choisir entre un menteur ou un salopard. 
Je ne sais pas pour vous, mais au moment où je remplis ma déclaration fiscale, j’ai le sentiment que je mérite mieux.

samedi 29 mars 2014

Au-delà des apparences

Journal de Québec et de Montréal, samedi le 29 mars 2014, p.20.

Pierre Karl Péladeau doit-il se départir de ses actions dans Québecor? Si le but poursuivi est uniquement de sauver les apparences, peut-être. Concrètement cependant, il est fort peu probable que son arrivée en politique ne modifie la stratégie d’affaire des divers médias du groupe de presse.
Malgré la déferlante de considérations morales qui a suivi le saut en politique de M. Péladeau, le réalisme économique suggère que cette apparence de conflit d’intérêts ne restera que cela… une apparence de conflit d’intérêts
Pourquoi? Tout simplement parce qu’une entreprise de presse ne peut abuser de la partisanerie politique sans en payer le prix.
Un empire commercial
Je n’ai pas la naïveté de croire qu’un empire de la taille de Québecor n’exerce aucune influence sur l’opinion des votants québécois. Pas plus que je ne crois que les chroniqueurs et journalistes du groupe (comme ceux des autres médias) sont des modèles d’objectivité, et qu’aucun intérêt partisan ne transpire de leur propos. Ce sont des humains!
Dans mon esprit, par contre, nos grands médias font d’abord et avant tout des affaires. Ce sont des entreprises commerciales qui cherchent à soutirer le maximum de profit du segment de marché qu’ils exploitent. C’est ce qui leur permet de vivre et de prospérer dans une industrie fortement concurrentielle.
La dictature des annonceurs
De nos jours, les médias tirent la majeure partie de leurs revenus de la publicité. Or, la valeur des espaces publicitaires s’accroit avec la masse et la variété du public qu’ils rejoignent.
La dure réalité économique d’un média, c’est qu’il doit constamment chercher à élargir, ou à tout le moins à maintenir, l’éventail de sa clientèle. 
Pourquoi mettrait-on en cause le fragile équilibre d’une recette d’affaire qui a permis à Québecor de devenir l’une des plus importantes entreprises de presse au Canada? Pourquoi prendrait-on le risque de s’aliéner une partie de la clientèle et de faire fuir les annonceurs chez les concurrents? Aucun actionnaire ou gestionnaire d’un groupe de presse n’accepterait de courir un tel risque financier, y compris M. Péladeau.
Il est donc peu probable que l’entrée en politique de PKP apporte un changement notable dans la diversité et l’équilibre des contenus véhiculés par les médias du groupe Québecor. Il y a peu de raisons de croire que le Journal deviendra subitement plus ou moins indépendantiste et pro-charte des valeurs qu’il ne l’est déjà.
Les bienfaits de la concurrence
N’en déplaise à ceux qui s'entêtent à nous protéger contre les apparences, les consommateurs d’information et les annonceurs ne sont pas captifs du Journal ou de TVA. Ils ont toujours à leur disposition la SRC, La Presse, Le Devoir et quelques centaines d’autres quotidiens, stations de radio, postes de télévision et médias électroniques pour s’informer ou pour publiciser leurs produits.
Cette concurrence entre médias s’avère d’ailleurs la meilleure protection du public contre les dérives médiatiques. Elle fait sans aucun doute davantage pour la liberté de presse et la probité de nos politiciens, que toutes ces lois, codes de déontologie et commissaires à l’éthique mis en place par nos gouvernements.


Potinage…
Plusieurs ont appris que la relation amoureuse entre Pierre Karl Péladeau et Julie Snyder avait pris fin récemment. Malgré tout, le Groupe TVA était fier d’annoncer que sa relation d’affaires avec l’ex-conjointe de M. Péladeau serait reconduite. Voilà une nouvelle rassurante… pour ceux qui sous-estiment les forces du marché.