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lundi 25 août 2014

Le projet de loi 3 ou la loi du plus fort


Le Journal de Québec et de Montréal, samedi le 23 août 2014, p. 16 (JQ).

Aujourd’hui, bien que le réalisme économique commande une révision fondamentale des régimes de retraite des employés municipaux, il n’autorise pas le gouvernement à faire n’importe quoi.

Aussi indécents puissent-ils paraître, les privilèges dont bénéficient ces employés du secteur public municipal ne sont pas tombés du ciel. Elles sont le produit des règles de négociation imposées jadis par nos gouvernements.

Or, si le projet de loi 3 poursuit un objectif louable, force est de constater qu’il s’agit d’une épine au pied de l’État de droit.

Nous vivons dans une société où les autorités politiques, plus que quiconque, doivent donner l’exemple et respecter leurs engagements. Pourquoi? Simplement parce qu’il ne serait plus possible d’acheter ou de vendre quoi que ce soit si personne ne respectait les contrats. 
Imaginez que vos finances personnelles soient dans une situation déplorable : vous avez dépensé sans compter (comme l’État), vous refusez de vous serrer la ceinture (comme l’État) et vous vous présentez chez vos créanciers pour les aviser que, dorénavant, vous n’allez payer que la moitié de vos dettes.

Normalement, ces derniers s’en remettront aux tribunaux pour vous forcer à acquitter votre dû. À défaut de quoi, ils n’auraient d’autre choix que de faire appel à des « gros bras ». Ce serait un retour à la loi du plus fort.

Quand les autorités politiques du Québec décident de ne plus respecter leur signature au bas d’un contrat et de revoir de manière rétrospective leur contribution aux régimes de retraite des employés municipaux, elles posent un geste inacceptable pour une société où le respect des contrats est fondamental au fonctionnement de notre économie.

Ironiquement, c’est d’ailleurs en insistant pour que le gouvernement terre-neuvien respecte ses engagements – malgré le fait que ce dernier y voyait une grave injustice -  qu’Hydro-Québec a défendu son avantageux contrat d'achat d'électricité de la Churchill Falls.

En déposant un projet de loi qui modifie de manière unilatérale et rétroactive les régimes de retraite, nos autorités politiques font, sans s’en rendre compte, la promotion du chaos.

Dans une société où les autorités politiques se permettraient de reformuler à leur guise leurs engagements passés, plus personne ne connaîtrait les règles du jeu en société. Le contribuable ne pourrait plus se fier à la loi de l’impôt, les investisseurs quitteraient la province et les citoyens vivraient sous un stress permanent.

Plus personne ne saurait ce qui est juste ou non, tout simplement parce que ce qui est permis et profitable aujourd’hui pourrait être punissable et dommageable demain.

Aujourd’hui, ce sont les régimes de retraite qui sont visés par nos politiciens. Qui sait si demain, ils ne passeront pas une loi sur l’impôt qui, au nom de l’intérêt public, ponctionnera rétroactivement votre épargne privée et votre richesse accumulée?

Ne vous méprenez pas, comme une majorité de Québécois, je suis pour une refonte majeure des régimes de retraite. Mais je suis contre ces lois rétrospectives qui fragilisent le fonctionnement de notre société, et ce, pour permettre à des politiciens de réparer leurs erreurs passées.

mardi 17 juin 2014

Trois médecins ne font pas un économiste


Trois médecins ne font pas un économiste, et je blague à peine! Les déclarations de notre trio de médecins-politiciens achèvent d’ailleurs de me convaincre que s’ils furent naguère d’éminents médecins, ils s’y connaissent très peu en science économique.
Ce week-end, par exemple, le ministre Bolduc déclarait que l’éducation devait être prioritaire sur la santé. La semaine précédente, le ministre Barrette priorisait la santé. Quant au premier ministre Couillard, il nous répète depuis des lunes que son gouvernement priorise les finances publiques.
Il n’en fallait pas plus à un économiste pour diagnostiquer une certaine vulnérabilité du gouvernement au « paradoxe d’Arrow ». Quoi? C’est une maladie qui affecte nombre de gouvernements qui se contentent de suivre le vent politique sans se donner de lignes directrices précises.
À moins d’un coup de barre, les Québécois doivent donc s’attendre à ce que leur nouveau gouvernement libéral montre, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, des symptômes chroniques d’instabilité et d’incohérence.
Vous pensez que j’exagère, que la démocratie a toujours raison et qu’elle nous protège contre l’errance politicienne? Vous avez tort!
Faisons un petit effort intellectuel. Supposons que le gouvernement décide de régler la question de ses priorités au conseil des ministres. Trois clans de taille identique s’affrontent : 1) le clan Barrette, qui priorise d’abord la santé (S), ensuite l’éducation (E) et enfin le budget (B);  2) le clan Bolduc, qui priorise l’éducation (E), le budget (B) et la santé (S); 3) le clan Couillard, qui préfèrerait d’abord s’attaquer au budget (B), pour ensuite passer à la santé (S) et en troisième lieu à l’éducation (E).
Je schématise:
Clan Barrette : Santé > Éducation > Budget  (S > E > B)
Clan Bolduc : Éducation > Budget > Santé (E > B > S)
Clan Couillard : Budget > Santé > Éducation (B > S > E)

En supposant que le Conseil des ministres prend ses décisions à la majorité, tentons de prédire la stratégie libérale qui en résultera. On observe que la priorité santé est préférée à l’éducation (E) par deux clans sur trois. On observe aussi que la priorité éducation (E) est préférée au budget (B) par deux clans sur trois. En conséquence, si la santé est préférée à l’éducation et que cette dernière est préférée au budget, on devrait s’attendre en toute logique à ce que la santé soit préférée aussi au budget. Erreur! Dans notre exemple, le budget (B) est préféré à la santé (S) par deux clans sur trois. En résumé : (S > E) et (E > B) mais (B > S).
Ne perdez pas votre temps à chercher le canular. Je viens seulement de vous illustrer le théorème d’impossibilité d’Arrow. En généralisant l’exemple de Condorcet (1785), Kenneth Arrow (Nobel 1972) a montré pourquoi nos démocraties peinent à agréger des préférences variées et conduisent à des incohérences politiques.
Ne vous surprenez donc pas si notre nouveau gouvernement continue à augmenter un salaire minimum destructeur d’emplois, tout en mettant de l’avant des programmes de création d’emplois. À subventionner à coup de milliards des projets de cimenteries et d’éoliennes économiquement inefficaces, tout en promettant une rationalisation des dépenses publiques.
La trithérapie a peut-être permis de révolutionner la lutte contre le sida, mais le cocktail de politiques incohérentes que s’apprête à nous servir notre gouvernement risque d’achever un Québec déjà fort mal en point.