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mardi 13 mars 2012

Air Canada: une loi spéciale justifiée?


La Presse.ca, La Presse Débats, mardi le 13 mars 2012

Le gouvernement Harper a-t-il raison d’adopter une loi spéciale pour empêcher le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out chez Air Canada? Le transport aérien est-il un service essentiel? L’impact d’un conflit sur l’économie canadienne est-il un motif suffisant?

Déficit de concurrence
Air Canada occupe une position dominante dans l’industrie du transport aérien au pays. Ses parts de marché comptent pour 60% des voyages intérieurs et 40% des voyages internationaux. Parce qu’elle profite d’une clientèle captive, elle peut s’approprier une rente de quasi-monopole en imposant des tarifs anormalement élevés sur certains vols intérieurs. Évidemment, cette rente attise la convoitise des syndiqués. D’autant plus, que la captivité de la clientèle sert avantageusement le pouvoir syndical : on peut prendre en otage les voyageurs canadiens pour se faire octroyer des salaires et des bénéfices marginaux démesurés. Arrive alors Big Brother! Le gouvernement réplique en adoptant une loi spéciale censée protéger notre économie et les consommateurs. Décidément, une situation déplorable en entraine une autre.
En réalité, si le gouvernement voulait vraiment protéger les consommateurs, il s’efforcerait de restaurer une saine concurrence dans cette industrie. Une concurrence qui permettrait aux consommateurs de payer un juste prix pour les services de transport aérien; une concurrence qui permettrait aux travailleurs d’exercer leur droit fondamental de faire la grève pour être rémunéré à leur juste valeur. En attendant, cette loi spéciale sert de pansement temporaire à une situation insatisfaisante pour tous les Canadiens.

jeudi 8 mars 2012

Le corporatisme policier


La Presse.ca, Débats, Opinions, jeudi le 8 mars 2012.

Le projet de loi 46 concernant les enquêtes policières indépendantes est-il suffisant? Ce n’est pas l’avis de la protectrice du citoyen, qui réclame des enquêtes impartiales et véritablement indépendantes sur les policiers. Pendant ce temps, nos autorités policières multiplient les efforts pour banaliser le Bureau civil de surveillance proposé par le gouvernement. Leur crainte? Perdre le monopole de l’information lors des enquêtes impliquant des policiers.
Pour l’économiste, le pouvoir monopolistique prête aux abus. Les abus observés en marge des enquêtes policières sont du reste largement discutés dans la littérature. Dans la revue Critical Criminology, Brian Martin explique en détail les méthodes permettant aux corps policiers de se disculper à la suite de bavures policières. Avis aux intéressés!
Au Québec, lorsqu’il y a décès ou blessures graves dans le cadre d’une intervention policière, la pratique veut qu’une enquête soit menée par une autre organisation de police que celle impliquée dans l’événement. Or, selon un récent sondage Angus Reid, 87 % des Québécois remettent en cause ce système. À croire qu’il n’y a que la grande famille policière qui fasse encore confiance aux enquêtes de police sur la police.
Pourquoi les organisations policières veulent-elles conserver le contrôle des enquêtes qui les concernent? Pour mieux pouvoir inhiber l’indignation citoyenne! Dans les heures suivant l’événement, avant même que les policiers impliqués n’aient été rencontrés, on se hâtera de nous informer que la victime était bien connue des policiers, qu’elle souffrait de problèmes mentaux ou qu’elle possédait un lourd casier judiciaire… On profitera même de l’occasion pour laisser entendre que la sécurité des policiers était menacée et que l’utilisation de la force était pleinement justifiée. Comme si on pouvait présumer des résultats de l’enquête.
Cessons d’être naïfs! Les policiers n’ont aucun intérêt à faire la lumière sur les bavures policières. Contrairement au souhait des autorités policières, ce ne sont pas les pouvoirs du Bureau civil de surveillance qu’il faut limiter, mais bien celui des organisations policières elles-mêmes. Ils auront beau nous répéter que seuls les policiers ont les compétences pour enquêter sur leurs pairs, tout ça n’est que du vulgaire corporatisme. Le véritable enjeu du projet de loi 46 est de restaurer la confiance du public envers une institution dont la crédibilité est mise à mal depuis trop longtemps. A-t-on déjà oublié la Commission Poitras?
Pour l’instant, nos forces policières accepteraient la création d’un bureau civil de surveillance à condition d’en limiter considérablement les pouvoirs. Ne nous laissons pas berner : l’ajout d’un bureau civil sans réel pouvoir d’enquête indépendant créera une fausse illusion d’impartialité et ne servira qu’à renforcer la légitimation d’une situation inacceptable. La loi 46 ne doit pas servir à renforcer un pouvoir policier déjà démesuré. Il faudrait peut-être rappeler à nos autorités policières que, dans un État de droit, leur rôle est de faire respecter la loi… et non de faire la loi!
Épilogue: Il faut avoir testé la sensibilité policière pour comprendre l’inquiétude suscitée par une remise en question des enquêtes policières. Dans la foulée de l’incident ayant fait une innocente victime sur la rue Sainte-Catherine, j’écrivais dans La Presse Débats qu’il ne fallait pas trop attendre de l’enquête policière. La famille, c’est la famille, avais-je osé ajouter! Résultat? Mon institution a reçu plusieurs missives des autorités policières pour dénoncer mes propos et ma présumée incompétence à traiter des affaires policières. Avouez que lorsqu’on se sent investi du pouvoir de mettre de la pression sur une institution universitaire et un de ses professeurs pour un billet d’opinion, il y a de quoi s’inquiéter... Me voilà donc récidiviste!


[1] « The beating of Rodney King : the dynamics of backfire », Critical Criminology, Volume 13, no 3, 2005, pp. 307-326.