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mercredi 11 décembre 2019

Cette politique bon marché qui mise sur l’ignorance des électeurs

Contrepoints, mercredi le 11 décembre 2019

Des citoyens jusqu’ici apolitiques sont de plus en plus engagés. Ils n’y comprennent pas grand-chose, mais ils aiment bien. C’est la politique bon marché.
L’ignorant rationnel
À la fin des années 1950, l’économiste Anthony Down a développé le concept d’ignorant rationnel pour désigner ceux qui refusaient d’investir en information politique.
Les ignorants rationnels ne sont ni incultes ni illettrés. Ce sont simplement des individus avisés dont le comportement est dicté par un calcul avantages/coûts. Les avantages qu’ils perçoivent du vote ne justifient pas l’investissement en temps et en énergie pour s’informer sur les propositions politiques des partis.
Conséquemment, plusieurs électeurs préfèrent s’abstenir. D’autres, non moins nombreux, se rendent malgré tout aux urnes pour voter par mimétisme, pour le plaisir de s’exprimer ou pour des considérations d'ordre moral.
L’arrivée des médias sociaux a toutefois changé la donne. Même si les ignorants rationnels ont peu d’intérêt pour les émissions d’affaires publiques, ils savent lire un tweet ou un statut Facebook.
Les politiciens peuvent désormais contourner le filtre des analystes politiques et rejoindre directement ceux qui lui faisaient jusqu’ici la sourde oreille. Ils peuvent lui transmettre un message politique qui requiert peu d’effort d’assimilation, donc très peu d’investissement en temps et en énergie.
Coûts d’information et d’adhésion  
Si les médias sociaux permettent de réduire les coûts d’information, encore faut-il que l’ignorant rationnel puisse adhérer et faire sienne la politique qui lui est proposée.
Or, pour séduire un ignorant rationnel, il faut lui faire une proposition politique dont les coûts d’assimilation sont quasiment nuls, une politique conforme à ses intuitions préalables; une offre politique qui a du sens à priori, mais qui ne requiert aucun investissement d’analyse et de réflexion de sa part. Il faut éviter les propositions contre-intuitives, et ce, même si la science le prescrit. Trop coûteux en analyse.
La proposition doit couler de source de manière à ce que l’ignorant rationnel puisse en comprendre les tenants et aboutissants sans y mettre d’efforts. Elle doit aussi apporter une réponse simple, voire simpliste, peu importe la complexité du problème. Le nec plus ultra de la politique bon marché étant bien sûr d’incorporer dans sa plateforme des propositions s’arrimant à un mythe ou à une croyance populaire.
Évidemment, les couleuvres politiques sont non seulement admises, mais largement recommandé. Cela s’explique par le fait que l’ignorant rationnel, par définition, n’investira pas dans une analyse de la véracité de l’information qui lui est transmise ni de l’efficacité de la politique qui lui est proposée.
L’offre politique bon marché
Le fameux théorème du votant médian de Duncan Black suggère que les formations politiques s’alignent au centre d’une distribution gauche/droite. Ils cherchent le juste milieu, celui qui divise l’électorat en part égale et leur permet d’espérer gagner l’élection.
Dans ce modèle de référence, les électeurs n’ont pas besoin d’être satisfaits de l’offre politique qui leur est faite, ils se rallient au parti le plus près d’eux. Ils votent par défaut, pour le moins pire.
En suivant cette stratégie, les partis politiques ont trop longtemps ignoré que plus les préférences d’un électeur s’éloignent du centre - donc se déplace vers les extrêmes de la distribution - moins grand est le bénéfice anticipé d’aller voter. Favorisant d’autant l’ignorance rationnelle de ces électeurs.
La politique bon marché vise essentiellement à séduire ce votant potentiel. Plutôt que de présumer à tort que l’ignorant rationnel se ralliera à une plateforme politique centriste, les politiciens tâchent désormais d’aller à sa rencontre en introduisant dans leur programme des propositions souvent qualifiées de populistes. 
Conclusion
Si l’ignorance rationnelle de l’électeur demeure encore bien vivante, elle s’exprime dorénavant d’une manière différente : nous sommes passés de l’ignorant absent à l’ignorant partisan.

vendredi 30 mars 2018

Le tramway et le troisième lien ne peuvent cohabiter


Le Devoir, mardi le 3 avril 2018.

La ville de Québec peut-elle s’offrir le luxe d’un « troisième lien » en plus d’un tramway? Pas vraiment. Le succès du nouveau réseau de transport en commun de la Capitale passe par l’abandon du projet de construction d’un nouveau pont. 

Transport collectif
Il n’y a rien de vraiment surprenant à ce que les autorités publiques aient d’abord choisi d’investir dans le transport en commun plutôt que dans un troisième lien. On a pu observer ailleurs que la multiplication des ponts ne faisait que repousser les problèmes de congestion.

Bien que la plupart des spécialistes conviennent qu’à long terme le transport en commun est une option de mobilité urbaine plus prometteuse, encore faut-il qu’il soit utilisé à sa juste mesure.

Or, l’achalandage dans les transports en commun opérés par le Réseau de transport de la Capitale (RTC) a toujours été famélique. Un désintérêt attribuable, semble-t-il, à un service désuet et peu efficace. 

Le tramway annoncé en grande pompe changera-t-il la donne? Les études montrent que si les tramways améliorent le confort des usagers, ils n’augmentent pas automatiquement l'achalandage. 

Du reste, outre un sondage SOM qui nous révèle que le projet suscite l’adhésion d’une partie de la population de Québec, nous avons peu d’indices nous laissant croire que les usagers afflueront vers le tramway.

Concurrence de l’automobile
Le succès du futur tramway de Québec repose donc sur sa capacité à concurrencer l’automobile, en faisant migrer les automobilistes de la région de Québec vers le nouveau réseau de transport en commun.

Une chose est claire toutefois, il sera impossible d’attirer des automobilistes dans ce nouveau réseau si on continue à subventionner l’automobile.

Là où le bât blesse, c’est quand des politiciens prétendent que le dossier du troisième lien est indépendant du tramway et qu’ils promettent de réaliser les deux de front.

Dans la mesure où la congestion des ponts est le seul frein à son usage (une tarification indirecte), la construction d’un nouveau lien rapide et gratuit saperait inévitablement l’intérêt de l’usager des ponts à migrer vers le nouveau réseau de transport en commun.  

Pire encore, on inciterait le résident de Québec à déménager sur la rive sud pour économiser sur la prix du sol, et à privilégier l’automobile pour ses déplacements.  Du moins, jusqu'à ce que ce nouveau lien soit lui-même saturé…

Essaimage
Nous n’avons plus les moyens d’essaimer les subventions à caractère électoraliste dans les ponts et chaussées. Il faut dorénavant introduire un peu de cohérence dans les investissements publics. Il est également temps d’assumer ses choix d’investissements. Les politiciens ne doivent plus détruire de la main gauche ce que d’autres tentent de bâtir de la droite.

Maintenant qu’ils ont décidé de privilégier le tramway, nos décideurs publics doivent faire en sorte que cet investissement de 3 milliards $ ne soit pas jeté par les fenêtres. Il faut en conséquence privilégier son interconnexion avec la rive sud, renoncer à la construction du troisième lien et s’assurer que le subventionnement du réseau routier de la Capitale n’incite pas à la désertification du futur réseau de transport en commun.

Le tramway n’a peut-être pas la réputation d’être le plus efficace des moyens de transport collectif, mais nos élus doivent avoir la décence de ne pas en faire un fiasco avant même sa construction.