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samedi 13 février 2016

La Saint-Valentin d’un économiste…

C'est la Saint-Valentin. Vous hésitez entre une boîte de chocolat ou un souper au restaurant pour cimenter votre couple? Oubliez ces mièvreries! Rappelez-vous que les mots cupidon et cupidité ont la même racine étymologique.

Pour l’économiste, vivre en couple est d’abord et avant tout une transaction économique. Je ne parle pas exclusivement d’échange de faveurs sexuelles entre partenaires consentants, mais aussi du partage d'activités productives comme faire la cuisine, la vaisselle, entretenir la maison et éduquer les enfants.

Vous êtes un homme rose ou une femme émancipée? Ça ne change rien à mon propos. Il sera toujours plus facile de cuisiner un ossobuco pour deux personnes que de se préparer individuellement deux jarrets de veau. Je parle ici d’économies d'échelle.

Il est vrai que la plupart des services que s’échangent les partenaires d’un couple sont en vente libre sur le marché. Vous pouvez embaucher une femme de ménage, manger au restaurant, faire entretenir votre pelouse et même, en cas de solitude, faire appel à internet pour obtenir les services d’une escorte à domicile.

Toutefois, rien n’est jamais gratuit. Trouver, marchander et acheter ces services sur le marché libre demande du temps et comporte une part d’inconnu et de risques. Ce sont des coûts de transaction suffisamment importants pour que plusieurs se lancent à la recherche d’un partenaire de vie pour produire et consommer ces services à moindre coût.

Dans cette perspective, le couple est essentiellement un partenariat d’affaires où deux individus acceptent de mettre en commun une partie de leur revenu, de partager les tâches domestiques selon leur spécialité et, généralement, de s’octroyer mutuellement l’exclusivité de leurs câlins. Romantique, non?

L’amour
Et l’amour dans tout ça? Pourquoi doit-on préférablement s’acoquiner avec quelqu'un qu’on aime? Essentiellement parce que l’amour réduit les coûts de négociation entre les partenaires de l’entreprise familiale.

Lorsque vous aimez d’amour votre conjointe, son bonheur sera nécessairement l’une de vos préoccupations et vous serez enclin à assouplir vos attentes de partenariat pour la rendre heureuse. Si cet amour est réciproque, c’est encore mieux : les négociations visant à faire prospérer votre capital commun seront d’autant facilitées.

Soyez sans crainte, même si la passion dévorante de votre nuit de noces s’est quelque peu estompée, rien n’augure à une faillite de votre couple. À moins, bien sûr, d’escompter qu’un seul bouquet de roses le 14 février de chaque année saura occulter votre sous-investissement chronique dans l’entreprise familiale.

vendredi 4 septembre 2015

Une grève des enseignants pour le bien de nos enfants?

Le Devoir, le 4 septembre 2015, p. A9. (disponible en ligne)

Nos enfants feront-ils les frais des moyens de pression de leurs professeurs? C’est ce que soupçonnent nombre de parents dont les enfants sont laissés pour compte chaque fois que les enseignants descendent dans la rue. Et ils n’ont pas tort!

Nos syndicats de professeurs nous avaient promis un automne chaud et ils tiennent leur promesse. Les enseignants de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) envisageraient même de déclencher un arrêt de travail de trois jours. Une grève pour le bien de nos enfants, semble-t-il. Vraiment?

Je ne voudrais pas jouer au « parent-roi », mais deux articles scientifiques montrent que les élèves sont souvent les premières victimes des moyens de pression de leurs professeurs.  

Grèves et réussite scolaire
Les économistes Michael Baker de l’Université de Toronto et David R. Johnson de l’Université Wilfrid-Laurier ont étudié les conflits de travail dans les écoles primaires de l'Ontario du milieu des années 1990 au début des années 2000. 

Ils ont comparé le rendement scolaire de cohortes d’élèves ayant subi ou non des arrêts de travail. Les résultats de leurs travaux sont sans équivoque : les grèves d’enseignants nuisent à la réussite scolaire des élèves.

Michael Baker (2013) a observé que ce sont surtout les étudiants de 5e et de 6e année qui subissaient les contrecoups. Les élèves qui vivent un arrêt de travail seraient plus susceptibles que les autres d’échouer à leur évaluation de mathématiques. Leurs compétences en lecture seraient également moindres que celles des élèves qui n’ont pas vécu de grève. En somme, Baker montre qu’il existe une relation étroite et négative entre les grèves des enseignants et la performance scolaire.

David Johnson (2011), qui a étudié les mêmes grèves ontariennes et observé des effets similaires sur les résultats scolaires des élèves, note que ce sont les enfants défavorisés qui sont les plus touchés par les conflits de travail.  Il a aussi observé que plus les conflits de travail s’étiraient, plus les dommages infligés à nos jeunes étaient perceptibles.

Reprendre chaque jour perdu
À l’aube d’une nouvelle période de perturbations scolaires, il semble opportun de rappeler à nos syndicats d’enseignants que le recours à la grève dans le domaine de l’éducation n’a rien d’anodin. Aussi légal que soit le geste, mettre des jeunes à la rue risque d’entraver leur capacité d’apprentissage et, peut-être même, de les handicaper pour la vie.

En somme, si nos enseignants étaient vraiment soucieux de la réussite scolaire de nos jeunes, ils annonceraient dès maintenant que chaque journée perdue à cause de la grève sera reprise intégralement pendant le calendrier scolaire ou lors de la période estivale.

Ce faisant, les passionnés de justice sociale y verraient une volonté de réparer les dommages infligés aux jeunes otages, et les parents y décèleraient une preuve tangible que nos professeurs ont vraiment à cœur l’avenir de leurs élèves.





Michael Baker, Industrial Actions in Schools: Strikes and Student Achievement, Canadian Journal of Economics 46 (3) (2013), 1014–1036.
David R. Johnson, Do Strikes and Work-to-Rule Campaigns Change Elementary School Assessment Results? Canadian Public Policy, 2011, vol. 37, issue 4, pages 479-494